Le tatouage polynésien est devenu une projection des désirs et des valeurs de la société moderne
- bureau Nahei
- 1 avr.
- 3 min de lecture
par Heretu TETAHIOTUPA

Le patutiki, dans les temps anciens, était bien plus qu’un simple tatouage. C’était une pratique profondément ancrée dans la culture marquisienne, avec une fonction sociale et spirituelle.
Dans les îles tropicales du Pacifique, au temps anciens, les corps étaient en grande partie dénudés. Le tatouage était visible et prit un aspect social, culturel et spirituel important dans le développement des différentes civilisations du pacifique. Il prend aspect particulier et unique au monde aux îles marquises. Unique par la densité de son expression, son recouvrement intégral du corps et la diversité de son langage s’exprimait à travers plus de 400 symboles.
Le patutiki évoluait jadis selon des règles, des codes, des contraintes formelles et sémantiques. Mais il y a eu une rupture dans la transmission. Les derniers tatoueurs qui connaissaient le sens des symboles et les règles de cet art ont disparu il y a un siècle, vers 1920, et les dernières personnes tatouées des temps anciens, dans les années soixante. Il faut savoir que les îles marquises ont subi une dépopulation tragique. Plus de 95% de la population disparaît durant le 19e siècle. C’est la disparition également des connaissances.
Les tatoueurs modernes ont reproduit des motifs vus dans des livres et peu à peu il est redevenu un art vivant.
Dans les années quatre-vingt, les premiers tatoueurs de la renaissance du tatouage polynésien ne connaissaient pas le sens des symboles anciens, ils les ont reproduits, il y a eu donc, beaucoup d’invention concernant le sens des symboles et du tatouage.
On a ainsi créé un mythe et un folklore autour du tatouage, les symboles sont anciens mais la composition est maintenant libre. Le discours et les informations véhiculés de manière générale à son sujet n’ont rien de traditionnel et ancestral.
De nos jours, le tatouage est un service économique avec un client : la personne vient et demande un tatouage particulier, qui restera unique, et qui va raconter son histoire personnelle. La personne recherche à travers le tatouage un moyen de marquer son individualité, et un sens d’exclusivité. Ce sont des valeurs modernes qui s’opposent à la pensé marquisienne ancestral basé sur des valeurs de communauté et d’inclusion.
Le tatouage polynésien, aujourd’hui, est en majorité une projection des désirs et des valeurs de la société moderne qui utilise des symboles anciens pour exprimer son individualité.
Voir des hommes hors de la Polynésie avec des tatouages marquisiens est une marque de succès et une célébration, parfois involontaire, de la culture marquisienne. Il y a une fascination du monde (des stars notamment) pour nos symboles, sans savoir souvent qu’ils sont marquisiens, ils pensent que c’est tribal. Cette fascination est déjà contenue dans la légende de Tiki. Là où il y a danger, c’est par rapport à l’appropriation culturelle que certaines personnes et peuple font de nos motifs, sans rapport avec la vérité. Il y a une appropriation culturele des symboles marquisiens par des tatoueurs Tahitiens et Hawaïens, et cela depuis les années 80. Il faut respecter le Patutiki et la culture marquisienne. Nos symboles sont inspirés par la terre des Marquises et l’histoire de nos ancêtres.
Le Patutiki est une expression de l’essence du enana (Marquisien). Il y a dans ces symboles une intensité, une puissance, une perfection, et elle touche à quelque chose d’universel dans l’homme, c’est l’expérience spirituelle du beau, qui traverse l’espace et le temps.
Interview du 3 octobre 2024 et transcription
Daniel MARGUERON

1 - Musicien, tatoueur, réalisateur, artiste, Heretu Tetahiotupa, né en 1992 d’un père marquisien et d’une mère française, a organisé comme président du Comothe le Matavaa o te henua Enata ou festival des îles Marquises qui s’est tenu à Nuku-Hiva en 2023. Il s’est investi dans la connaissance de la culture marquisienne traditionnelle et s’intéresse à ses incarnations possibles dans la société d’aujourd’hui.
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