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Il y a 157 ans, la variole décimait les îles de Nuku Hiva et Ua Pou

Dernière mise à jour : 25 juil.

par Jean-Christophe SHIGETOMI


Liminaire : Les ressources documentaires sont tirées de Tama’i, des rivalités ancestrales à la bataille des Fei Pi, annexions et résistances en Océanie française (livre à paraître).


Les funérailles de NiehituAquarelle de Max Radiguet autour de 1840 (fonds DM)
Les funérailles de NiehituAquarelle de Max Radiguet autour de 1840 (fonds DM)

Le 23 août 1863, l’aviso à vapeur français Le Diamant débarque des natifs de plusieurs îles d’Océanie qui ont été notamment sauvés des mines de cuivre du Pérou. Ces derniers ont été enlevés de force par des négriers qui écument le Pacifique pour travailler dans des conditions de semi-esclavage en Amérique du Sud.


Bateaux négriers (droits réservés : sources Tama’i)


À partir de 1850, le Pérou recherche de la main-d’œuvre étrangère. En 1862 une autorisation gouvernementale autorise les navires péruviens à rechercher des travailleurs dans les îles du Pacifique. Le navire l’Adelante ramène en septembre 1862, 253  immigrants de l’île Penrhyn (1) dans de bonnes conditions. 


Corinne Raybaud (2) : Toutefois des voix commencent à s’élever contre ces recrutements péruviens, même si au début les craintes sont infondées. Cependant elles ne tarderont pas à se concrétiser. 


La véritable nature des escales aux Marquises de bâtiments venus principalement d’Amérique du Sud est donc le recrutement parfois forcé de main-d’œuvre (3).


Le trois-mâts chilien Eliza Mason parti de Callao touche l’île de Hiva Oa puis Omoa à Fatu Hiva. Des tractations sont engagées avec le chef local qui accepte de réunir quelque 300 hommes sous réserve de disposer de l’accord du résident français. Le chef de Fatu Hiva temporise car les grilles de fer des négriers ont été décelées par les îliens. Le capitaine Sasuategui, démasqué décide de lever l’ancre pour l’île de Pâques. 


La frégate de trois-mâts de trois-cent douze tonnes l’Empressa de Lima (4) quitte Callao le 22 novembre 1862 sous le commandement du capitaine Henry Detert avec la mission de recruter de la main d’œuvre pour le compte d’un propriétaire péruvien Don Francesco Carnavare. 


À Nuku Hiva, face à aucun recrutement volontaire, le capitaine opte de capturer quelque 200 Marquisiens montés à bord. Le subrécargue Henry William Carr (5) et un agent de l’immigration Georges Black Duniam s’opposent à tous ces enlèvements et ses éventuelles répercussions. 


Autochtone des îles Marquises
Autochtone des îles Marquises

Leur opposition leur vaut après avoir été battus leur mise aux fers pendant trois jours sans eau et nourriture. Les mains liées, ils seront débarqués à Ua Pou avec leur coffret et un Marquisien dénommé Phelipo ou Pepeiho (6) qui a accepté de les tuer contre quatre bouteilles de whisky et un couteau. Le responsable de la chaloupe les libère pour les laisser finalement au grand dam de Phelipo nager saufs jusqu’au rivage.


Le gendarme de Taiohae monte à bord pour s’informer de la nature de leur escale. Le capitaine ne répond pas contestant la souveraineté de la France sur ces îles. Informés d’un risque de capture et d’enlèvement, les îliens désertent l’Empressa et tentent même de se saisir de ses chaloupes en mission de ravitaillement en eau et en bois. Le capitaine Henry Detert mesure que les insulaires avec l’approbation du résident français peuvent prendre d’assaut son bâtiment. Il lève l’ancre pour Ua Pou avec une seule Marquisienne du nom de Christina. 


 À Ua Pou, un beachcomber du nom d’Henry James Nichols leur rend visite pour s’informer de la nature de leur escale. Le médecin du bord, le Dr Inglehart ou Englehart (7) chargé des opérations de recrutement lui propose deux à dix piastres par tête pour tous ceux qu’il pourrait leur livrer ainsi que son transport et son installation au Pérou. La capture serait déguisée en tant que de besoin grâce à sa nouvelle qualité d’agent permanent. Nichols opte pour la fuite. Dix-neuf Marquisiens seront finalement emportés par la force. Le cuisinier français Alfred Lacombe témoigne (8)  : Ils étaient à peu près 80 à bord. Le médecin réussit à attirer huit ou neuf femmes dans sa cabine où il les enferma ; pendant ce temps les canaques étaient tous sur le pont et le capitaine ne pouvant les persuader de descendre volontairement, ordonne à l’équipage d’utiliser la force. Lui-même, un pistolet à la main, montra l’exemple, mais seulement cinq hommes le suivirent ce qui explique pourquoi ils ne purent capturer que cinq indigènes qui furent jetés la tête la première à travers les écoutilles dans les entreponts. Pendant ce temps les autres sautèrent à la mer


À Hiva Oa, le médecin accompagné de Christina (9) persuade à terre 6 insulaires de monter à leur bord pour les aider au mouillage. Ils sont drogués au moyen d’une mixture de cognac et d’opium et enlevés. 


À Tahuata, un seul homme est enlevé à son insu.


À Fatu Hiva, le cuisinier déserte et l’Empressa se résigne à emmener de force les quinze Marquisiens montés à son bord.


Un brick péruvien Guyas tente de recueillir en vain l’autorisation de recruter de la main d’œuvre.


Le trois-mâts-barque chilien La Conception sera le dernier navire qui tentera de recruter de la main d’œuvre aux îles Marquises. À Hiva Oa, la chaloupe envoyée à terre et commandée par un officier en second français Julien Faucheux est capturée. Les cinq membres d’équipage sont amenés chez le résident qui les envoie à Tahiti. La Conception préfère reprendre le large après avoir attendu pensant trois jours le retour de sa chaloupe.


Le 10 juillet 1862, le navire l’Adelante fait escale aux îles Marquises pour s’approvisionner en eau et embarque cinq Marquisiens en qualité d’hommes d’équipage.


Carte postale A.Bougault (DR)
Carte postale A.Bougault (DR)

Le 3 décembre 1862, l’aviso à vapeur français le Latouche Tréville arraisonne à Makemo aux Tuamotu le Mercedes A. de Wholey avec 152 captifs à bord. Le capitaine et l’équipage sont jugés par la Haute Cour criminelle de Papeete à Tahiti. 


Corinne Raybaud : Une intense activité diplomatique des consuls anglais, français et hawaiiens contre ces recrutements au cours de l’année 1862 pousse les armateurs à choisir d’autres destinations


Si les îliens du Protectorat des Établissements français de l’Océanie sont plus ou moins protégés (10) des raids des négriers péruviens, les Pascuans sans aucune protection sont enlevés, transportés au Pérou et en grande partie décimés par les maladies.


Corinne Raybaud : C’est ainsi que l’île de Pâques, première terre habitée à proximité de l’Amérique du sud ayant aussi l’avantage de ne pas dépendre de la souveraineté française, ni d’aucune autre nation fut l’objet des convoitises péruviennes. Le piège se referme alors sur les Pascuans. Durant un an environ mille quatre cent îliens furent l’objet de déplacements entre l’île de Pâques et le Pérou, certains étaient volontaires, mais beaucoup furent capturés. 


En février 1863, Ma’iroto, le chef de l’île de Rapa, qui guide les Français jusqu’au fort de Fautau’a capture avec les habitants de l’île le brick-goélette la Cora qui pendant ses trois jours de relâche dans la baie de Ahurei tente d’embaucher ses préposés pour les mines de guano du Pérou. Le capitaine du brick et son équipage sont conduits à Papeete pour être jugés (11).


Gravure des îles Marquises vers 1845 (DR)
Gravure des îles Marquises vers 1845 (DR)

L’épidémie


Le vapeur français Le Diamant est donc contraint d’aborder l’île de Nuku Hiva afin de débarquer plusieurs de ces îliens miraculés des geôles de la côte sud-américaine et des membres d’équipage tombés gravement malades pendant leur transfert.  Le révérend père Jean Le Cornu dans une lettre du 10 mars 1864 adressée au père supérieur général Chaulet écrit que 15 hommes sont déjà morts à bord du Diamant. Des palabres sont engagés avec son commandant qui menace d’abandonner les malades sur les rochers. 


L’île de Nuku Hiva et ses missionnaires accueillent les malades dont plusieurs sont originaires des îles Marquises et organise les soins. Le premier cas de variole se déclare huit jours plus tard dans la population locale. La maladie va se propager rapidement et tuer tous ceux qui ne suivent pas les règles d’hygiène préconisées par les missionnaires. Le révérend père Gérauld Chaulet écrit : Ils étaient couverts de boutons depuis l’extrémité des pieds jusqu’au sommet de la tête, d’un aspect hideux, répondant une odeur insupportable


Ils meurent en si grand nombre que les corps gisent çà et là, dévorés par les chiens et les rats. De peur, de subir pareil sort, les familles des malades creusent des fosses dans lesquelles ils s’entassent en attendant la mort. Certains se suicident en avalant du poison ou se pendant. D’autres se saoulent en organisant d’immenses beuveries tout en pensant que l’eau-de-vie peut les prémunir contre la maladie qui les rattrape finalement.  


La reine Vaekehu, dessin de Pierre Loti, 1871 (fonds DM) 
La reine Vaekehu, dessin de Pierre Loti, 1871 (fonds DM) 

Les missionnaires accompagnent inlassablement pendant les mois qui suivent les malheureux dans l’épreuve de la maladie en les soignant, les confessant, les baptisant et en les portant en terre après avoir creusé leurs tombes. Ils seront secondés par 4 religieuses arrivées de Tahiti.


Ce fléau est alors perçu comme une punition de Dieu en réponse à leurs exactions : paganisme, cannibalisme, etc. Les missionnaires espèrent alors beaucoup pour ceux qui vont survivre. Ce ne sera pas le cas, ils retourneront à leurs vices sauf à Taiohae où Mgr Dordillon soutenu par Stanislas Moatini, fils de Temoana, pourra pleinement exercer sa qualité d’administrateur des affaires indigènes. Il a été élevé dans le catholicisme et fait un séjour à Valparaiso, au Chili. 


Mais, ce n’est pas que la divine providence qui accompagne les missionnaires dans l’épreuve.


Les hommes d’église sont eux immunisés. Ils ont en effet reçu les vaccins fournis par le Commissaire impérial que Monseigneur Dordillon, inquiet de la situation sanitaire de l’archipel des îles Marquises leur a apportés de Tahiti. 


La vingtaine d’étrangers de Nuku Hiva est épargnée en s’isolant ou peut-être parce qu’ils ont scrupuleusement respecté les consignes d’hygiène préconisées par les missionnaires ce que ne font pas les Marquisiens. 


L’île d’Ua Pou n’est pas plus épargnée par la contagion.


Monseigneur Dordillon écrit : Depuis le 20 août 1863, l’île de Nuku Hiva et celle d’Ua Pou ont été ravagées par l’épidémie de petite vérole qui nous a été apportée par un navire. À Nuku Hiva, il y a eu 920 victimes au moins, c’est-à-dire la moitié de la population a disparu, à peu près dans les proportions suivantes, établies d’après le relevé des décès à Taiohae où, sur 119 décès, il y a eu 65 hommes, 45 femmes et 12 enfants. À Ua Pou, où l’épidémie règne encore, le nombre de décès pour toute l’île était au 26 février dernier, de 600 : plus de 2/3 de la population


Tahiti va souffert d’une épidémie de même ordre en 1841. Un navire américain en provenance des îles Hawaii a débarqué à Papeete 2 passagers dont l’un meurt en quelques jours et propage la contamination. Le navire américain Yorktown arrive providentiellement avec du vaccin pour permettre d’endiguer l’épidémie de variole.


Mgr Dordillon (1808-1888)évêque des îles Marquises, timbre de l’OPT
Mgr Dordillon (1808-1888)évêque des îles Marquises, timbre de l’OPT

1 - Atoll des îles Cook.

2 - Échange août 2019.

3 - Bulletin de la société des études océaniennes n° 219, juin 1982. 

4 - Il est par sa taille le second navire de recrutement péruvien. 

5 - L’équipage de l’Empressa battant pavillon anglais comprend quatre Anglais, quatre Italien, deux Espagnols, deux Chiliens, deux Américains, un Grec, un Portugais, un Français et un Maltais, aucun péruviens.  

6 - Un chef de Hiva oa d’assez mauvaise réputation. Après le départ de l’Empressa, Il sera arrêté par le résident et à la demande des autres chefs déporté à Tahiti.

7 - Il a affrété l’Empressa.

8 - Lors de la commission d’enquête.

9 - Il semble qu’elle reste à Hiva Oa.

10 - En février 1863, le chef de Rapa Ma’iroto et les habitants de l’île capture le brick goélette la Cora qui pendant ses trois jours de relâche dans la baie de Ahurei tente d’embaucher ses préposés pour les mines de guano du Pérou. Le capitaine du brick et son équipage sont conduits à Papeete pour être jugés. 

11 - Note de l’éditeur : cette activité de blackbirding qui a sévi dans tout le Pacifique est racontée par Jacques-Olivier Trompas (AVDI 2020), pour des faits situés entre les îles de Mélanésie et l’Australie dont le développement économique agricole requiert une main d’œuvre abondante et peu voire pas rétribuée.





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