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L’adolescence et l’inspiration littéraire néocalédoniennes de Charles MALATO : Écrivain et militant anarchiste (1857-1939)

par Daniel MARGUERON


Entre déportation, colonialisme et révolte kanak


Charles Malato portrait
Charles Malato portrait

Écrivain fécond, mais bien oublié de nos jours, Charles Malato (1) a également mené une vie active de militant anarchiste internationaliste. À l’issue de la Commune (1870), ses parents ont été condamnés et déportés en Nouvelle-Calédonie, d’abord à l’île des Pins durant un mois et demi, puis à Nouméa. C’est dans cette colonie du Pacifique-Sud que le jeune Malato vécut de 1875 à 1881 (soit de 18 à 24 ans). Sa famille a connu Louise Michel surnommée la Vierge rouge et a soutenu avec elle l’insurrection kanak (2) de 1878. À la suite de la loi d’amnistie de juillet 1880, Charles Malato rentre en France avec son père, sa mère étant décédée durant leur séjour sur l’île.


Les années passées en Nouvelle-Calédonie lui inspirèrent, en tout ou en partie, divers ouvrages : l’essai autobiographique De la Commune à l’anarchie (1894), l’ouvrage Contes calédoniens (1895), le roman social La Grande grève (1905) ainsi qu’une pièce de théâtre qui n’a jamais été jouée : L’île des Pins (1905). La présentation de ces quatre ouvrages, dont certains n’ont jamais été réédités, constituent la base de cet article. 


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De la Commune à l’anarchie (1894)


Cet ouvrage de 300 pages, est presqu’entièrement consacré à la vie du jeune Charles Malato de son départ de Brest le 1er mars 1875 en compagnie de ses parents à bord du Var, à son arrivée en Nouvelle-Calédonie, 147 jours plus tard, et à son retour en France en 1881, sur le navire la Loire. Le livre fourmille d’éphémérides précises, d’informations passionnantes - et de première main -, sur tous les sujets de la vie quotidienne ou de l’histoire calédonienne, selon son point de vue, c’est-à-dire avec toujours en ligne de mire, la critique féroce de la colonisation et les effets négatifs de l’évangélisation « l’autocratie papelarde (3) », comme il l’appelle. « Le bonheur n’a pas d’histoire, écrit-il, c’est un exposé de faits et de choses constatés de visu, non une autobiographie, que j’ai l’intention de présenter au lecteur (4) ». L’emploi permanent du « je », la place centrale du personnage dans le récit, l’évolution du jeune homme qui devient un homme, ainsi que le contenu du livre, font que ce livre appartient à la catégorie littéraire du récit de formation. Malato effectue un exercice de mémoire, de conscience critique et de lucidité, en aucun cas il n’écrit un récit d’aventures.


Au début de l’ouvrage, l’auteur s’interroge sur les raisons de la révolte contre la société qui gronde en lui. Au moment de partir pour la Calédonie, il exprime cette claire conscience :


« j’emportai, ancré dans mon cœur le désir de la revanche, revanche qui s’étendant plus tard des hommes aux institutions, les grandes coupables, devait faire de moi un adepte de la révolution sociale (5) ». Il précise son état d’esprit, à l’époque : « J’avais dix-sept ans, beaucoup d’imagination et de sensibilité naïve, énormément de timidité… par contre, nulle crainte des dangers ».


Le livre rend compte d’abord des difficiles conditions de vie à bord du navire, guère bonifiées par les frustes menus servis aux condamnés : « des débris de biscuit de mer… un boujaron de tafia… du pain de munition, et trois fois par semaine un morceau de carne desséchée… (6) ». Très à l’écoute du monde humain embarqué, il rapporte le langage cru des marins dans leurs échanges langagiers « coïons, rossards… (7) », l’inégal traitement des hommes selon leur situation qui irait, selon ses mots, jusqu’à « l’esclavage », et les conflits relationnels entre les passagers durant le long voyage dans le huis clos du navire. Il complète le tableau en présentant la personnalité de certains forçats embarqués (Mabille), en évoquant également les quelques émigrants qui viennent en nouveaux colons, séduits « par les légendes qu’on faisait circuler en France sur la colonie océanienne (8) ». Le père de Malato, durant le voyage, est « enfermé dans un compartiment grillé de l’entrepont sous la surveillance de quatre ou cinq gendarmes », quant à la mère et à son fils, ils « partagent dans la batterie basse le domicile des voyageurs libres (9) », et l’auteur conclut ainsi cette étape :« nous séjournâmes dans ce pandémonium, cent quarante-sept jours (10) ».


Malato raconte le débarquement à Nouméa (par ordre : les immigrants libres, les 300 forçats, la troupe, enfin les déportés), puis le transfert à l’île des Pins. Là, commence l’installation chaotique et l’adaptation progressive au nouveau milieu qu’il découvre, entre les résidents mélanésiens, les Arabes et kabyles déportés auxquels on a volé les terres, où chacun doit faire sa place, mais il évoque aussi la mort des premiers déportés, l’absence de vie publique et les nombreuses tentatives d’évasion qui rythment l’ennui dans l’île. Il révèle les abus dont se rendent coupables les commerçants, « mastroquets » (11) profiteurs de la situation et protégés par l’administration, ainsi que les dégâts de l’ivrognerie régnante sur les communautés.


Son père étant rapidement rapatrié sur Nouméa, le jeune homme cherche du travail. Le 14 janvier 1876, il devient employé colonial au service télégraphique, et après une rapide formation, il est proposé pour servir à Oubatche, au moment où des tribus résistent « aux missionnaires et à l’armée ». À travers cet emploi excentré, « il y avait la perspective bien alléchante pour un jeune homme nourri de jules Verne… d’aller explorer cette brousse encore sauvage, de nouer des relations avec les derniers anthropophages, d’étudier sur place les dialectes et les mœurs » (12). C’est en séjournant quelque temps à Houaïlou qu’il rencontre pour la première fois « des canaques en costume primitif c’est-à-dire en moino (13) … et le dimanche… des popinés vêtues…du tapa (14) », en bref non seulement la société des indigènes évangélisés et en cours de colonisation, mais aussi des Européens, commerçants agriculteurs ou mineurs, « des types curieux » pour certains. Malato, doté d’un large humour qu’il manie comme une distance critique de bon aloi, préserve ainsi sa conscience d’occidental, attestée par les nombreuses références à sa culture d’origine, en guise de comparaisons voire d’explications rationnelles. Il analyse les relations qui s’établissent au sein des communautés humaines de ces micro-sociétés perturbées par la « spéculation minière (15) » et l’agriculture d’élevage, et dont les tribus kanak, qui se soulèvent régulièrement, font les frais (16). Il rend compte de ses expéditions en brousse, de ses mésaventures lorsqu’il explore les tribus ou s’enfonce dans la nature et manque, un jour, de disparaître dans la vase ; il est sauvé par une jeune popinée opportunément apparue, à la recherche de crabes des marais. Il note également les maladies présentes et raconte son initiation sexuelle avec une jeune femme autochtone rencontrée au bord de la plage, déjà bien pourvue d’enfants, dont certains sont visiblement des métis.


Malato évoque de curieuses méthodes d’évangélisation (17), reposant sur l’attrait de la nouveauté chez les kanak, la vente d’objets fétiches (croix, chapelets, etc.), en échange desquels, les nouveaux convertis renoncent aux noms coutumiers au profit de saints occidentaux (Sophie ou Rosalie), et in fine ils abandonnent la religion traditionnelle. Se rendant à la messe de Noël, il est séduit par l’énergie déployée par les néophytes « ils étaient réellement croyants, fanatisés même, les voix étaient justes (18) », et il observe aussi que « coquetterie et bigoterie (19) » vont de pair à la messe. De manière plus critique, il confie : « La politique des missionnaires apparut…fort habile. Il est indéniable qu’après avoir abruti les indigènes, les bons pères les ont souvent préservés contre l’envahissement des civilisés (20) ».


Malato décrit toujours la constitution minérale du sol, la végétation où il se trouve dans la chaîne de montagne ou au bord du lagon, il s’interroge, comme le font souvent les récits de voyage ou de séjour, sur la question des origines géographiques et linguistiques des kanak, s’appuyant à la fois sur les hypothèses de son époque que sur des explications cherchées par lui-même, en effectuant, par exemple, des comparaisons de termes avec les langues chinoise ou Othomi. Il évoque l’immigration récente (deux cents ans environ) des Polynésiens aux îles Loyauté et rapporte quelques récits légendaires associés à des chefs kanak (Pahouman, Ouanégueï) (21).


Malato dresse le portrait du chef Ataï (22) « l’initiateur et l’âme de l’insurrection de 1878 » dont l’objectif était d’opérer un « soulèvement général (23) ». Il attribue la révolte kanak aux différents facteurs suivants : « la spoliation des terres et les ravages des bestiaux errants », auxquels il ajoute « l’antagonisme naturel » entre les civilisations, et « les intrigues des missionnaires ». Il reconnait que « la guerre fut impitoyable de part et d’autre (24) ». Il raconte l’incendie de sa « paillotte », puis l’engagement qui va être le sien dans un « combat » pour sa propre survie. Quelques jours plus tard, alors que l’insécurité continue à régner, de passage dans une tribu, il comprend qu’il est observé en vue d’être tué et mangé ; il parvient néanmoins à s’échapper et déjoue également une embuscade qui aurait pu lui être fatale. Il reste néanmoins conscient que « ce peuple noir combat pour son indépendance. Proscrits pour la cause de la liberté, allons-nous passer du côté des oppresseurs ? (25) ». Quelques pages plus loin, il reconnait aussi que « les primitifs ne sont inférieurs ni moralement ni intellectuellement aux fruits hâtifs de la civilisation (26) ». Peu de temps après cet épisode, il quitte son poste en brousse, « non sans émotion, ce paradis sauvage devenu un coupe-gorge (27) ».


C’est à son retour à Nouméa, qu’il rencontre Louise Michel (28), au sujet de laquelle il ne tarit pas d’éloges concernant son action auprès des kanak (alphabétisation, recueil de traditions). Cette militante est autorisée, après sept années à Ducos comme plusieurs autres « blindés (29) », à résider au chef-lieu. Il lui livre ses observations et ses notes qu’elle va reprendre dans l’ouvrage Légendes et chants de gestes canaques en 1885.


Puis il rejoint son nouveau poste à Thio, une tribu « forte de trois cents âmes, gouvernée par un crétin de la plus belle eau, Philippo Dopoua, docile instrument du père Morris (30) ». C’est à ce moment-là qu’arrive « la grande nouvelle, éclatant comme une tumultueuse fanfare de délivrance : l’amnistie ! Six mille communards et leurs familles se levèrent pour acclamer le triomphe de la république une et indivisible (31) ». Désormais libre, mais confie-t-il « une tombe nous retenait sur cette terre (32) », celle de sa mère, décédée, sur laquelle il ne s’étend d’ailleurs pas. Il dit adieu à Thio « ses mines et ses mineurs, ses mercantis rapaces, ses débris indigènes et son fourbe missionnaire (33) ». Le 18 février 1881, il embarque pour Brest avec son père sur le navire la Loire, en compagnie de mille cent personnes, commandé par Brown de Colstown « fine fleur du réactionnarisme et, quoique protestant, digne d’avoir étudié chez les Jésuites (34) ». Le libre-penseur conserve sa verve jusqu’au bout ! La fin du livre raconte le lent et pénible retour, les escales du bateau où l’auteur découvre la presse, la situation politique française, et à leur arrivée au port breton, le père Malato est arrêté pour être expulsé en Italie. De son côté, Charles raconte sa réadaptation, les emplois qu’il occupe, son choix de devenir journaliste et détaille l’évolution de ses engagements politiques, vers un anarchisme socialiste.


Écrit quinze ans après son retour en France, cet ouvrage de Malato conjugue à la fois la narration, précise, minutieuse et circonstanciée de la vie quotidienne vécue en Nouvelle-Calédonie, toujours à travers son prisme politique, et sans doute un regard distancié, dépassionné, voire reconstruit avec le temps, sur son séjour et les événements dramatiques vécus. Le récit demeure en grande partie autocentré. Malato est un idéaliste, il recherche une « justice absolue (35) », n’est pas l’homme des concessions et des petits arrangements, il regrette la convoitise du pouvoir des politiques. Par ailleurs, il a observé et connu la vie indigène, mais il donne l’impression de rester à la porte de ce monde, de le décrire de l’extérieur, ce qui procure au lecteur une certaine insatisfaction. Il le reconnait et le justifie d’ailleurs, lorsqu’il va visiter la tribu de Komba, et qu’il écrit « j’étais mû par le désir d’y rencontrer, non des rois ou des ministres, mais des popinés. On n’a pas toujours dix-huit ans et demi (36) ». Le chapitre est titré « scènes de la vie de brousse (37) », il précise qu’il n’a pas l’ambition d’entrer au cœur de la culture mélanésienne de l’époque. L’auteur est très jeune, il sort d’une adolescence compliquée par la condamnation de son père et la mort de sa mère. En définitive, face à la réalité calédonienne, le séjour de Malato, qu’il savait provisoire, a conforté les engagements idéologiques qui furent ceux de toute son existence.


Contes calédoniens (1895) (38)


départ de condamnés de Saint-Martin de Ré
départ de condamnés de Saint-Martin de Ré

À Saint-Ouen, ville industrielle jouxtant Paris au nord, vit un vieillard, digne et distingué, que les gamins du quartier appellent capitain À Martinot, mais dont personne ne sait ni son origine, ni sa vie passée, ni la profession qui fut la sienne. Intrigués par cet homme dont ils fantasment l’existence, ces enfants décident un jour de se rendre à son domicile, et lui adressent ainsi leur requête : « nous venons vous demander de nous raconter vos voyages (39) »


Le prétendu Capitaine Martinot commence par leur raconter comment la France s’est installée en Nouvelle-Calédonie, au nez et à la barbe des Anglais, à la faveur du soutien du rusé chef Vandégou de l’île des Pins, qui éprouvait davantage de sympathie pour les Français que pour les Anglais (40).


Mais le corps du livre est composé de l’histoire ou plutôt de la fable, comme l’indique Malato lui-même, concernant le chef kanak Damé, intrépide guerrier anthropophage (41). Les tribus alentour lassées des incessantes guerres tribales déclenchées par ce chef, se liguent et attaquent la tribu des Nouméas lors d’un pilou. Vaincu par le nombre d’assaillants, le chef Damé se sauve dans la montagne avec quelques comparses, et après quelques jours de marche le groupe arrive à Yaté devant la tribu des Touaourous, où il envoie des émissaires afin d’y être accueilli dans la paix. En attendant leur retour, passe une superbe jeune fille portant des ignames. Affamés par les jours de marche, les hommes de Damé se proposent de faire un sort à la jeune fille et aux ignames, ce que le chef refuse arguant qu’on ne peut tuer une femme alors qu’on demande l’hospitalité à la tribu. Connaissant parfaitement le langage des casse-têtes mais aussi la « vertu » de l’hospitalité, le chef accueille les rescapés, les nourrit, leur offre des femmes et une terre, nommée Naouarau, à défricher. La nouvelle tribu redevient rapidement prospère, mais la puissance recouvrée de Damé inquiète ses nouveaux voisins qui, une nuit, mènent une attaque. Et à nouveau, Damé s’enfuit, alors que les vainqueurs commencent à se nourrir des cadavres encore chauds. Estimant cette agression injuste, le chef des Touaourous reprend l’offensive, fait entrer dans la bataille Damé, et remporte la victoire. Les rescapés des tribus s’enfuient vers l’île Ouen et l’île des Pins où ils s’installent, et ainsi Damé recouvre une puissance supérieure en superficie de terre à celle qu’il a primitivement quittée. Mais ces deux îles étant moins fertiles et plus difficiles à cultiver que la Grande terre, les Dodgis d’abord, souhaitent revenir sur leur terre ancestrale ; ils envoient auprès de Damé deux guerriers chargés de cadeaux, mais, malgré les promesses fournies par le chef, ce dernier les accueille puis subrepticement les massacre. Quant aux Tyes qui ont abandonné leurs sagaies et casse-tête pour des armes européennes, ils sont tués, car leurs fusils étaient détériorés.


À la fin du livre, on apprend que le capitaine Martinot n’a jamais été ni marin, ni capitaine, mais simplement un « maitre-nageur aux bains Henri IV ». D’où lui vient alors son immense savoir ? « J’en dois la connaissance à ma bibliothèque, une bonne amie qui m’a aidé à faire en esprit bien des voyages », livre-t-il aux enfants, message envoyé tel un bon conseil pour leur vie future...


Ce conte assez brut s’appuie sur des sensations qu’il est amené à produire sur le lecteur : il inspire essentiellement la peur, quitte à créer puis entretenir des « stéréotypes ». Bien qu’il défende souvent les logiques indigènes, Malato cherche également à montrer la cruauté des sociétés traditionnelles, néanmoins possiblement évolutives. La fin du conte semble indiquer que pour gagner un combat, il ne faut pas changer d’armes ni prendre celle des « autres ». Le pardon chrétien n’est pas encore d’actualité…


La Grande grève (1905)


Ce roman, se déroulant sur une vingtaine d’années, s’inspire de faits réels, réagencés pour la narration, auxquels l’auteur imprime des éléments biographiques. Roman de combat, le récit est fortement binaire, il est encadré par deux révoltes de mineurs, la première au début de l’intrigue, à la suite d’une provocation ourdie par l’alliance du patron et du curé, scénario qui fonctionne comme une répétition générale, avant la seconde révolte, en fin de roman, consacrant la provisoire victoire des ouvriers. La scène se déroule dans le bassin minier de Montceau-les-Mines, entre 1880 et 1900. Le roman introduit son lecteur au cœur des luttes ouvrières en vue de la reconnaissance syndicale, du droit de grève et de la dignité humaine, sans méconnaître les divisions des organisations censées défendre le monde des ouvriers.


À l’issue de la première révolte, quatre ouvriers sont condamnés au bagne en Nouvelle-Calédonie. Le romancier les accompagne sur place, il décrit le pays, la dure condition de déportés, le mépris et la violence dont ils sont l’objet, leur farouche volonté de s’en sortir. Roman de la conscientisation ouvrière à travers le temps long, qui a pour double fonction d’éduquer et de renforcer l’esprit, les personnages sont très polarisés et, on s’en doute, l’ensemble du récit est manichéen. Il y a les ouvriers engagés dans la lutte et les traitres ainsi que les mouchards, la collusion objective des autorités, le curé et le directeur de l’usine, le préfet et la police. Malato conduit son roman en cherchant visiblement à éviter la tension entre écriture et action, et à lui dénier tout caractère fictionnel : c’est une histoire donnée pour vraie qui est racontée, quasiment autoréférentielle, didactique également, sans suspens ni dramatisation. La Grande grève se lit comme un roman d’édification et de formation politique.


La trame romanesque en Nouvelle-Calédonie


La Calédonie ne constitue pas le sujet principal du roman, mais avec son bagne, elle participe de la politique répressive de l’Etat français. Charles Malato donc, accompagne l’existence dramatique de quatre forçats condamnés, qui vont connaître « les vices, les tortures, les crimes du bagne (42) ». Il s’agit de Janteau, d’Albert Détras et de l’ouvrier Galfe, tous arrêtés et condamnés suite à une provocation qu’ils n’avaient su déjouer, tandis que le quatrième Bernin était un mouchard. Le manque de discernement de la justice qui condamne sans preuve aux travaux forcés ajoute au sentiment d’injustice et d’inégalité de la société de l’époque.


Il y a d’abord, comme dans tout récit (de voyage) l’arrivée à Nouméa :


« Devant la petite ville néo-calédonienne dont les maisons blanches à un seul étage, couvertes en zinc, réverbéraient les rayons d’un soleil aveuglant, la frégate La Guerrière venait de jeter l’ancre. Les passagers et les marins, rassemblés sur le pont et heureux de la fin de cette traversée, qui avait duré trois mois et demi, se montraient les uns aux autres la chaine de montagne dans le lointain, plus près les hauteurs rougeâtres et arides dominant Nouméa : Montravel, le sémaphore, le cap Horn, la presqu’île Ducos s’avançant en pointe au nord-ouest et, fermant la rade, à l’ouest, l’île Nou. C’était vers ce royaume du bagne que se tournait la plupart des regards… Entassés dans les cages des batteries basses, les condamnés attendaient anxieux, leur baluchon sur le dos, l’ordre de monter sur le pont pour être débarqués dans leur nouvelle patrie. Amaigris, rasés, blafards dans leurs vareuses de toile matriculées, coiffés de larges chapeaux de paille et chaussés de lourds godillots, ces êtres, qui avaient été des hommes et qui n’étaient plus que des numéros, apparaissaient comme un troupeau effrayant, troupeau sinistre où grouillaient les monstres, troupeau résigné que domptait la seule vue du surveillant. Le plus souvent, les criminels sont des lâches. Tel qui a sans remords violé ou égorgé une enfant, étranglé une vieille dame, tremble devant le revolver du garde-chiourme. La visite sanitaire était accomplie, déjà le débarquement commençait (43) ».


Dès son arrivée, Janteau, déprime rapidement au bagne et pense mettre fin à ses jours. Il perd progressivement ses forces, et le matin où, épuisé, il décide de ne plus aller travailler, il meurt au moment où Albert Détras, censé le protéger des coups du féroce gardien Carmellini, blesse ce dernier.


Bernin, quant à lui, est un mouchard ; A « la Nouvelle (44) », de « bourreau il devient victime », au nom d’une possible « justice immanente (45) » : sur place, il est méprisé, insulté par les bagnards. Lui qui souhaitait se faire affranchir et devenir « garçon de famille », ne supportant pas le regard de ses condisciples, il décide de se suicider.


Galfe est un anarchiste déclaré et convaincu, lecteur de la littérature révolutionnaire, fils d’un mineur, mis à la retraite suite aux graves blessures subies après un éboulement dans la mine, et d’une mère morte du « mal de misère ». Il a sauvé du suicide une jeune fille, Céleste, qui deviendra sa compagne. Dénoncé par un mouchard, à la suite de l’attaque de la maison d’un contremaître de la mine, il est condamné aux travaux forcés à perpétuité, mais dans le cadre de la loi d’amnistie de 1880, il sera libéré. À son retour il retrouve, non sans difficulté, la douce et fidèle Céleste avec laquelle il va mener désormais une existence romantique et heureuse.


Albert Détras, proche de Malato sans être son double, est un mineur modèle menant une vie militante et rangée avec son épouse Geneviève qui a dû repousser les avances du curé. Son père avait été envoyé au bagne de Cayenne en Guyane au lendemain de la Commune. Après l’agression contre le gardien Carmellini, « terreur des condamnés », Détras n’a d’autres perspectives que de se sauver pour éviter une mort certaine. Après s’être saisi des habits et de l’arme du garde chiourme, comprenant qu’il ne pourra échapper dans un premier temps à l’île par la mer, il se réfugie dans « l’asile de la montagne (46) » du côté de Ouitchambô, des lieux, proches de Bouloupari qui connurent de lourds combats lors de l’insurrection de 1878 et où, selon Malato, l’armée française ne put l’emporter que grâce aux primes versées aux « auxiliaires indigènes, servant de rabatteurs (47) ». Commence alors pour Détras, une « odyssée », une dangereuse errance de plusieurs mois dans la brousse calédonienne, dont il sait la difficulté et les pièges : se méfier de l’armée, des colons blancs et des kanak (48) soudoyés par l’administration (49). Cette expérience humaine, faite de douleurs, de dangers imprévus et d’adaptabilité permanente au milieu, grandit le personnage de Détras qui accède au statut de héros, dont l’égo reste modeste mais déterminé à fuir le pays. Il éprouve des difficultés à se nourrir car les cultures indigènes ont été abandonnées à la suite de l’insurrection de 1878. Il erre cherchant un peu d’alimentation dans la brousse, déjoue une attaque de chiens redevenus sauvages, qu’il se résout à manger, apprend à faire du feu sans allumettes, tombe dans un ravin dont il se sauve à l’extrême de ses forces. Le bain dans le « liquide purificateur » d’une rivière constitue pour Détras le début d’une nouvelle vie libérée, en même temps qu’il parvient à pêcher quelques poissons. Après des mois d’errance, il arrive finalement, à Bourendy près de Thio, se fait passer pour un mineur en recherche de filon de nickel (50) ; il achète de nouveaux habits à l’employé d’un prêtre missionnaire négociant, travaille ici et là, puis il se fait délivrer une attestation d’emploi après quatre mois de travail par un jeune colon, nommé Pierre Delmot (51), vivant avec une jeune femme canaque. Et là, profitant de la confiance et de l’aubaine, il change son patronyme : désormais il n’est plus le forçat n° 320, il se nomme Paul Rège. Enfin, il réussit à faire légaliser ses certificats de travail par la gendarmerie elle-même ! Ainsi, abuser et l’Eglise et la maréchaussée, structures répressives et hostiles au mouvement ouvrier, constitue un bien beau pied de nez de Malato ! Et c’est grâce à cette véritable et progressive réhabilitation, qui le sécurise, qu’il parvient, après avoir fait des économies au jour le jour, à quitter le Caillou pour l’Australie d’abord, où il travaille un temps afin de regarnir sa modeste bourse, pour la France enfin, malgré, comme ultime épreuve, le naufrage de son bateau, et il débarque à Marseille, après neuf ans et demi d’exil.


Représentations de la Nouvelle-Calédonie dans le roman


Le désir de tout forçat, dès son débarquement en Nouvelle-Calédonie, est forcément de s’échapper de l’île (52), ou de changer de statut pénitentiaire afin de revivre en société, en attendant la libération et le retour en France. Malato est, par ailleurs, très sévère pour les anciens communards restés sur l’île, devenue une colonie de peuplement, eu égard à leur changement radical de mentalité, perçu comme un reniement (53) voire une trahison. Si le roman évoque « le royaume du bagne » (page 77), c’est bien entendu par ironie, car l’exotisme est totalement absent du récit, même si le personnage de Détras n’est pas insensible aux paysages calédoniens : « du sommet du Ouitchambô sans doute devait-on apercevoir des deux côtés de l’île l’étendue azurée du Pacifique, déroulant ses vagues à l’infini comme un océan de rêve et d’oubli (54) ». Le pays, lorsqu’il s’agit pour un évadé de s’y cacher, d’y survivre et de se nourrir, est triplement hostile, autant du côté de la société locale (autochtone et coloniale) aux puissants antagonismes, que de l’établissement pénitentiaire (surveillance, mépris, violence, mise à mort etc.) et de la nature tropicale : la mer est infestée de requins, quant à la terre, lorsqu’elle n’est pas cultivée, elle produit peu de nourriture. Seule l’intelligence de l’homme peut le sortir de ces contraintes et déterminismes, c’est ce que prouve Malato à travers le personnage positif de Détras.


La pièce de théâtre l’Ile des Pins


L’île des Pins, située au sud de la Nouvelle-Calédonie, devient à partir de 1872 le lieu de condamnation de la déportation simple des communards. Ils bénéficient d’une certaine liberté de mobilité, mais se voient obligés de se signaler régulièrement à un surveillant militaire. C’est là que Charles Malato résidera quelques mois avec sa famille.


En 1905, soit vingt-quatre ans après son retour en France, Charles Malato écrit une pièce de théâtre inspirée d’un fait divers s’étant déroulé à l’île des Pins, peu avant son propre séjour. Il la résume ainsi : « En 1872, 5 jeunes voyous, mêlés aux honnêtes condamnés politiques de la déportation, allèrent de nuit réveiller leur co-déporté Saint-Brice, délégué de la 2e commune de l’île des Pins, pour l’obliger à leur donner à boire. Il les mit à la porte. Dans la collision, l’un d’eux déracinant un jeune bananier lui en asséna sur le crâne un coup qui le laissa évanoui. Croyant l’avoir tué, ils s’enfuirent. L’autorité en profita pour faire un exemple. Les cinq jeunes gens désignés comme auteurs de l’agression furent arrêtés, condamnés à mort (sauf un) et exécutés. Or, l’un d’eux, Altos, arrêté à la place du déporté Lenormeau, n’était pour rien dans l’affaire. Il connaissait le nom du coupable et plutôt que de le dénoncer, se laissa fusiller à sa place. (55) » À ces événements, Malato reconnait avoir ajouté une fiction dans la dramaturgie : « Dans la pièce j’ai ajouté l’amour d’Altos et de Suzanne, qui jusqu’au dernier moment se trouve dans cette alternative poignante : dénoncer son père ou laisser mourir son amour ». Cette pièce de Charles Malato n’a jamais été ni jouée ni même imprimée. Une copie manuscrite existe, elle est déposée à la médiathèque de la ville de Saint-Denis, au nord de Paris.


Les bagnes français de Nouméa à Nuku Hiva


La France, dans sa politique pénale, afin d’écarter, provisoirement ou définitivement, les sujets indésirables, droits communs ou politiques - souvent mélangés -, a ouvert dans ses colonies un certain nombre de bagnes (56). La Nouvelle-Calédonie a accueilli, selon l’historien Louis-José Barbançon, entre 1863 et 1931, date de la fermeture de l’établissement, environ 30 000 forçats dont 4 000 communards et 1 000 femmes. « Le robinet d’eau sale a assez coulé » déclarait déjà le gouverneur Feuillé en 1894. Le bagne de Guyane a fonctionné de 1854 à 1938, avec environ 67 000 déportés, sans oublier l’éphémère bagne des îles Marquises à Nuku Hiva, de 1852 à 1854, qui n’accueillit qu’un seul épisode de déportation, celui de trois opposants au coup d’Etat de Napoléon III de 1851. C’est ainsi que le républicain Louis Langomazino (1820-1895) fut condamné au système de déportation simple et envoyé aux îles Marquises, en compagnie d’Alphonse Gent et Albert Ode (57). Gracié, il s’installe à Tahiti où il devient le premier avocat de l’histoire du pays. L’éphémère pénitencier fut démonté et envoyé en Nouvelle-Calédonie.


C’est aussi à Nuku Hiva, après qu’il eut cherché à s’évader de Nouméa (58), que le nationaliste vietnamien Nguyen Van Cam dit Ky Dong (1875-1929) fut déporté à vie, où il a été infirmier, adjoint à l’agent de l’administration et l’ami du peintre Paul Gauguin. L’île entière a été son lieu d’exil où il était surveillé par le gendarme Eugène Pambrun (le grand-père de l’écrivain Jean-Marc Pambrun), avant d’être autorisé par le gouverneur Adrien-Jules Bonhoure à s’installer à Tahiti en 1911, où il a travaillé comme préparateur en pharmacie à l’hôpital colonial. On lui doit la pièce de théâtre Les amours d’un vieux peintre aux îles Marquises, qui, comme le titre l’indique, évoque « les aventures galantes du peintre ». La pièce ne fut imprimée qu’en 1990 (A tempera Éditions), et a été jouée par l’atelier théâtre du lycée Paul Gauguin dans les années 2000, sous la direction de Georges Marti.


Un écrivain à redécouvrir


Charles Malato, ce témoin engagé, n’est plus lu de nos jours, ses ouvrages étant rarement réédités ou difficilement accessibles. Pourtant les thèmes de son œuvre, au-delà de la traditionnelle lutte du capital et du travail, demeurent modernes, car d’une part cet écrivain exerce son esprit critique vis-à-vis de tous les pouvoirs, d’autre part le retour en force du libéralisme économique recrée des conditions d’exploitation et de violence au travail qui marquent un recul civilisationnel. On n’est pas obligé de croire au « grand soir révolutionnaire » et à « l’éden libertaire » pour apprécier sa liberté de ton et sa lucidité. Quant à son écriture dynamique, souvent humoristique et directe, elle repose sur une mémoire personnelle étonnante. Malato est certainement « un oublié de l’histoire littéraire » et politique.


Bibliographie (59)


  • Malato Charles (pseudonyme Talamo), De la Commune à l’anarchie, 1894 (réédition Hachette/BNF), Contes calédoniens, 1897 (réédition Hachette/BNF), L’île des Pins, 1905, (manuscrit), La Grande grève, 1905, (réédition Le goût de l’être 2009 avec une préface et des notes de Caroline Granier).

  • Barbançon Loui-José, L’archipel des forçats, Presses Universitaires du Septentrion, 2020, Le Pays du Non-Dit, 1992 et 2019, éditions Humanis.

  • Delanné Marinette, Au bagne de Nouvelle-Calédonie sur les traces de Louise Michel, Editions du Petit Pavé, 2021.

  • Lecoeur Dominique, Louis Langomazino, Un missionnaire républicain de la Provence aux îles Marquises, Les cahiers de Salagon, 2002.

  • Maricourt Thierry, Histoire de la littérature libertaire en France, Albin Michel, 1990.

  • Sites Internet : Wikipédia

  • https://maitron.fr/spip.php?article 156107, notice Malato Charles par Constance Bantman et Guillaume Davranche, 2014 et 2022


Biographies d’Antoine et de Charles Malato


Le père de Charles Malato, Antoine Malato, est un Italien issu de la noblesse napolitaine, qui a combattu au côté de Giuseppe Garibaldi (1897-1882) lors de la révolution italienne de 1848. Mais, suite à l’échec du sauvetage de la république romaine, Garibaldi émigre en Amérique et Malato en France, comme de nombreux Italiens. Vingt ans plus tard, en 1870, Il participe aux événements de la Commune. Condamné, il est déporté simple à l’île des Pins où il part avec sa famille. « Mon père (fut) poursuivi beaucoup plus pour son passé révolutionnaire en Italie que pour le rôle assez modeste quoique ferme qu’il joua pendant la Commune » (De la Commune à l’anarchie, page 4).


Son fils, Armand Antoine Malato de Corné nait le 7 septembre 1857 à Foug (Meurthe-et-Moselle) d’une mère lorraine. Il s’apprête à entamer des études de médecine, lorsqu’il embarque avec ses parents pour la Nouvelle-Calédonie. Sur place on lui propose un emploi à la direction de l’Intérieur, puis aux Ponts et Chaussées qu’il refuse pour des raisons politiques. Un savant orientalise, Charles Lemire l’invite à travailler pour le service télégraphique qu’il rejoint. Durant l’insurrection de 1878, au cours de laquelle sont tués environ 300 blancs et 2 à 3000 indigènes, Malato prend position pour les Kanak, mais découvre en même temps que ces derniers assimilent tous les Blancs dans leur opposition, qu’ils soient colons ou déportés. Gérant à cette époque d’un bureau télégraphique près de la tribu des Oébias, il faillit être tué et mangé, sa maison est incendiée et la famille rentre sur Nouméa. Là il fait la connaissance de Louise Michel à qui il confie un glossaire et des légendes kanak recueillis lorsqu’il vivait en brousse.


À son retour en France, Charles Malato, devient journaliste, créateur d’une agence de presse, écrivain, éditeur, enfin correcteur à la Chambre des députés. Militant libertaire en France et en Europe, il a souvent maille à partir avec la justice. Il est expulsé en Angleterre en 1892 (en tant qu’Italien), puis il défend Dreyfus, enfin, arrêté suite à l’attentat contre Alphonse XIII, il est acquitté. Il est membre de la grande Loge écossaise. En 1897, il publie Philosophie de l’anarchie où il affirme son idéal communiste libertaire. « On connaît maintenant Malato. Sa vie n’est faite que de batailles, de coups de mains hardis, d’évasions, d’emprisonnements, d’exils », écrit de lui Victor Méric dans la revue libertaire Partage Noir. Il meurt le 7 novembre 1938 à Paris et est incinéré (pratique rare à l’époque) le 11 novembre 1938 au cimetière du Père-Lachaise. Son neveu lit une allocution que Malato avait lui-même rédigée, qui se termine ainsi : « Mourant en libertaire qui s’est toujours efforcé de marcher vers la réalisation de son idéal, je me permettrai de vous donner à vous, vivants, ce conseil : “Soyez bons, mais soyez forts...” ».


L’anarchisme : Ni Dieu, ni maître !


L’anarchisme est théorisé en 1840 par P. J. Proudhon en tant que mouvement social international « mutuelliste », mais on peut déceler ses sources dans différentes civilisations et utopies. Philosophie politique définie par son opposition à l’organisation de la société en État reposant sur l’autorité et la hiérarchie, l’anarchisme privilégie « l’association libre des individus, leur coopération volontaire, l’autogestion fédérative, la démocratie participative et le travail ». Le mouvement anarchiste a été puissant en France dans la deuxième partie du XIXe siècle, au moment de l’industrialisation et du développement du prolétariat urbain. C’est une « nébuleuse de pensée », très créative, ouverte sur les combats en devenir (l’union libre, le féminisme, l’altermondialisme, l’écologie, la question du genre, l’anthropocène…). L’anarchie s’est développée en de multiples courants de pensée, souvent en concurrence et a connu de nombreuses scissions. Elle revendique toujours un athéisme radical et s’élève contre les valeurs matérialistes des sociétés industrielles. Les grands attentats anarchistes datent du début des années 1890 (Ravachol, Auguste Vaillant ou Sante Geronimo Caserio qui assassine le président de la République Sadi Carnot à Lyon en 1894), ils ont entraîné le vote de lois répressives et des interdictions d’exercer leurs activités. 


Le courant anarchiste a vu dans la révolte spontanée, patriotique et révolutionnaire de la Commune (mars à mai 1871), la possibilité de mettre en pratique ses options essentielles (autonomie, fédéralisme). 


Au cours du XXe siècle, on retrouve l’esprit anarchiste dans l’ouverture d’orphelinats ou d’écoles laïques qui pratiquent l’égalité (filles/garçons, riches/pauvres) et la liberté (Summerhill, pédagogie Freinet, écoles libertaires, etc.), et même dans la Création de colonies libertaires à Madagascar par exemple. C’étaient des espaces d’expérimentation de nouvelles formes de vie collective. À propos de l’anarchisme, on peut dire que l’influence des idées libertaires dans la société a toujours dépassé de loin la réalité numérique du mouvement structuré.


Louise Michel : la Vierge rouge


Louise Michel en costume de fédéré
Louise Michel en costume de fédéré

Fille naturelle d’un châtelain et d’une servante, institutrice, Louise Michel (1830-1905) est une des figures marquantes de la Commune. « Propagandiste, garde au 61e bataillon de Montmartre, ambulancière et combattante, elle anime aussi le Club de la Révolution tout en se montrant très préoccupée de questions d’éducation et de pédagogie ». Arrêtée, elle réclame la mort au tribunal, mais elle est condamnée à la déportation, va vivre en Nouvelle-Calédonie de 1873 à 1880, où elle s’emploie à l’instruction des kanak et les soutient lors de révoltes. Victor Hugo lui dédie un poème Viro major. Elle a publié à Nouméa Légendes et chansons de geste canaques (1875), ouvrage réédité en France en 1885 sous le titre Légendes et chants de gestes canaques.


Amnistiée en 1880, son retour à Paris est triomphal. « Celle que les gazettes capitalistes nommaient la Bonne Louise est une figure légendaire du mouvement ouvrier, porte-drapeau de l’anarchisme, elle déplace les foules. Militante infatigable, ses conférences en France, en Angleterre, en Belgique et en Hollande se comptent par milliers. En 1881, elle participe au Congrès international anarchiste de Londres. En 1883, à la suite de la manifestation contre le chômage de Paris, elle est condamnée à six ans de prison pour pillage, mais elle est graciée. De 1890 à 1895, Louise Michel est à Londres, où elle gère une école libertaire. Rentrée en France, elle reprend ses tournées de propagande. Ses funérailles en 1905 donnent lieu à une énorme manifestation, et tous les ans jusqu’en 1916 un cortège se rendra sur la tombe ».


De sa vie et de son engagement, on peut retenir cette citation qui définit bien Louise Michel : « Si un pouvoir quelconque pouvait faire quelque chose, c’était bien la Commune composée d’hommes d’intelligence, de courage, d’une incroyable honnêteté et qui avaient donné d’incontestables preuves de dévouement et d’énergie. Le pouvoir les annihila, ne leur laissant plus d’implacable volonté que pour le sacrifice. C’est que le pouvoir est maudit, et c’est pour cela que je suis anarchiste ».


Vestige du bagne de l'île des Pins
Vestige du bagne de l'île des Pins
Le port du pénitencier de Saint-Martin de Ré d’où partaient les déportés vers les bagnes français
Le port du pénitencier de Saint-Martin de Ré d’où partaient les déportés vers les bagnes français

1 - Il a usé également du pseudonyme sous forme d’anagramme de Talamo.

2 - J’utiliserai dans cet article le terme invariable actuel de kanak, mais lors de citations puisées chez Malato, je reprendrai l’écriture traditionnelle de canaque.

3 - Page 36.

4 - Page 149.

5 - De la Commune à l’anarchie, page 8.

6 - Page 9.

7 - Page 11.

8 - Page 15.

9 - Page 3.

10 - Page 21.

11 - Pages 50 et 51.

12 - Page 65.

13 - Cache sexe. C’est l’occasion pour Malato de traiter de manière humoristique ce baromètre masculin de l’amour !

14 - Page 80.

15 - Page 120. Il mentionne également le krach de 1877 et ses conséquences pour la population (page 160).

16 - Selon Alban Bensa, de 1853 à 1878, vingt cinq révoltes suivirent l’installation (colons, missionnaires, condamnés) de la France en Nouvelle-Calédonie (in Michel Millet, 1878, Anacharsis éditions, 2013, page 13)

17 - Dans son livre, il évoque essentiellement les pratiques des missionnaires catholiques. En tant qu’Italien, il doit méconnaitre le monde protestant, pourtant très présent en Nouvelle-Calédonie.

18 - Pages 153 et 154.

19 - Page 118.

20 - Page 116.

21 - Page 145.

22 - Pages 161 et 162.

23 - Page 162.

24 - Page 173.

25 - Page 181.

26 - Page 217.

27 - Page 195.

28 - Préfaçant la réédition de ses œuvres de 1875 et 1885 (PUL, 2006), Marie-Claude Tjibaou écrit : « … à bien des égards Louise Michel peut être considérée comme un défenseur avant-gardiste de la culture kanak… nous nous devons, nous aussi, de contribuer à rendre hommage… à cette grande dame de notre histoire, et de l’histoire tout court… ».

29 - « Pittoresque surnom des condamnés à la déportation dans une enceinte fortifiée », page 201.

30 - Page 215.

31 - Pages 217/18.

32 - Page 218.

33 - Page 220.

34 - Page 221.

35 - Page 240.

36 - Page 102.

37 - Page 107.

38 - Dans son livre Légendes et chansons de gestes canaques publié en 1875, Louise Michel attribue à Charles Malato le conte intitulé Le rat et le poulpe recueilli sur la Grande terre et qui est résumé ci-dessous.

Lors d’une disette, un goéland, une poule sultane et un rat s’allient pour aller chercher de la nourriture au récif. Ils construisent ensemble une frêle embarcation pour le rat ne sachant nager. La pêche des oiseaux durant trop longtemps, l’affamé mammifère rongeur, se met à dévorer son embarcation, faite, notamment, de canne à sucre. A leur retour, les oiseaux décident d’abandonner le rat à son triste sort, c’est-à-dire à la mort, mais il réussit néanmoins à regagner le rivage grâce à un généreux poulpe qui le prend en charge sur son dos. Mais durant le trajet de retour, le rat s’amuse à uriner et à déféquer sur le poulpe dont le rat se moque, lorsque sauvé, il regagne la terre ferme.

Les éléments du conte, puisqu’il existait des rats noirs en Océanie, avant l’intrusion des rats sortis des navires, ne permettent pas de savoir de quand il date. D’esprit anthropomorphe, comme de nombreux contes et fables, son contenu général (sur le manque de confiance du rat et son impatience) ainsi que sa dimension morale sur l’ingratitude est évident. Les qualificatifs dépréciatifs habituels concernant cet animal sont justifiés par ce conte. Voir le récit présenté dans De la Commune à l’anarchie, page 147, que l’auteur conclut ainsi : « ce conte, parait-il est symbolique : le rat, dans l’esprit du La Fontaine noir, incarne l’imprévoyance et l’ingratitude canaque… il aurait bien pu dire humaine ». Ce conte exprime-t-il, au-delà des cultures, un universel pour Malato ?

39 - Contes néo-calédoniens, page 9. Le livre, qui reproduit les narrations du vieil homme est signé du pseudonyme Talamo, il est composé de 67 pages et contient des illustrations d’Alexis Lemaistre (1852-1932). Ce dernier est un peintre, dessinateur, illustrateur et graveur. Il a notamment collaboré à la bien connue revue L’illustration.

40 - Vandégou ou Vendégou est une dynastie de chefs Kanak sans doute originaires de l’île de Lifou, mais installés de longue date sur l’île des Pins. Le dernier membre connu, Hilarion Tumi Vendégou (1941-2020) fut maire de son île et sénateur anti-indépendantiste de la Nouvelle-Calédonie de 2011 à 2017 (Wikipédia).

41 - Voir aussi une évocation de ce chef dans De la Commune à l’anarchie, page 75

42 - Page 88.

43 - Page 77.

44 - Terme abrégeant celui de Nouvelle-Calédonie. 

45 - Page 78.

46 - Page 118.

47 - « Notre civilisation a fait de ces anthropophages, belliqueux mais hospitaliers et communistes, des ivrognes, des bigots et des policiers, adorant la pièce de cent sous » (page 147). La « police rurale indigène », créée en 1873, touche une prime à chaque capture, la population autochtone n’aide donc pas les « escapés » ou « évincés » (cf. Marinette Delanné).

48 - Orthographiés Canaques à l’époque.

49 - Pratique confirmée par Marc Ferro (direction), dans Le livre noir du colonialisme, de l’extermination à la repentance, éditions Robert Laffont, 2003. A. Bensa précise (op. cit. note) que « les conditions d’enrôlement de ces volontaires kanak restent mal connues ».

50 - On appelait à l’époque ces chemineaux, chercheurs de filon du terme anglais de Prospect.

51 - Ce personnage accueillant partage avec Malato une expérience commune - la vie en brousse - qui le rend proche de l’écrivain : « arrivé en Nouvelle-Calédonie à l’âge de quatre ans, avec ses parents, Delmot s’était développé au milieu des naturels, dont il parlait admirablement la langue, et était devenu un sauvage blanc » (page 148). Malato fait ici portrait d’une intégration réussie entre les deux ethnies antagonistes.

52 - Les Nouvelles Hébrides sont à 600 km, mais ont mauvaise réputation, l’Australie se trouve à un peu moins de 2000 km.

53 - Notamment un certain Amouroux qui participa ouvertement à la répression contre les Kanak en 1878.

54 - Page 123.

55 - Malato rapporte l’incident dans le livre De la Commune à l’anarchie, page 53.

56 - Également en Indochine.

57 - Voir le livre sur Louis Langomazino de Dominique Lecoeur.

58 - Plusieurs versions circulent sur cette étape de la vie de Ki Dong. 

59 - C’est en découvrant les documents familiaux laissés dans l’appartement parisien par nos parents à leur mort, notamment une correspondance de l’écrivain Charles Malato, avec notre grand-mère italienne Philomena Zeppa (1874-1930) d’une part, et avec son fils, notre père, l’universitaire Claude Margueron (1910-1994) d’autre part, que l’un de mes frères, Pierre, passionné d’histoire familiale, et moi-même avons découvert la vie, l’œuvre et les engagements de cet écrivain, ainsi que son ancrage calédonien à la fin de son adolescence. Ces traces personnelles et publiques m’ont donné l’envie de les partager avec les lecteurs de notre revue Confluences Océanes.

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