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La renaissance des sports mā’ohi

par Enoch Raiano LAUGHLIN (1)


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À l’origine de ma passion pour réhabiliter les sports d’autrefois, il y a eu d’abord la période du Va’a, la moto, les sports mécaniques, le jet-ski, mais je trouvais qu’il manquait quelque chose dans ces pratiques, une foi, un enthousiasme qui existait dans les activités traditionnelles, c’est là que l’on retrouve le Polynésien authentique, d’esprit communautaire avec ses qualités (le partage) et ses défauts (la nécessité de le pousser pour qu’il agisse et un mode de fonctionnement parfois rigide). Actuellement je suis président de la Fédération des sports et jeux traditionnels, en langue tahitienne : Amuitahira’a Tū’aro Mā’ohi.


Pour les festivités liées au passage en l’an 2000, nous avons proposé au pays, dirigé à l’époque par le président Gaston Flosse, des activités qui associent les îles et archipels pratiquant encore des activités traditionnelles comme le lancer de javelot (Tuamotu), la course des porteurs de fruits (Pape’ete), le lever de pierres (Australes), le grimper au cocotier, le va’a tāi’e, (pirogue à voile) le débourrage de coco, etc. 


Timbre 1 : Postes 2002 - Décorticage de coco.

Timbre 2 : Postes 2002 - Porter de fruits.

Timbre 3 : Postes 2002 - Lancer de javelot.


Ce fut un grand rassemblement de tous les archipels avec près de 4 000 personnes, préparé par le comité Tahiti Nui 2000 ! L’idée était de faire un Heiva sans concours. À l’époque, certains sports traditionnels n’étaient pratiqués que lors du Tiurai (ancienne appellation du Heiva) et n’étaient pas structurés, donc nous avons créé en 2003 la Fédération des Sports et Jeux Traditionnels qui regroupe aujourd’hui 28 associations (12 sur Tahiti et 16 dans les archipels). On a consulté les archives du Tiurai (OTAC, service du Patrimoine, etc.) et des anciens comme Gérard Cowan ou Geffry Salmon nous ont confié leurs propres dossiers. On doit leur être reconnaissant et les mettre en valeur.


Les Polynésiens s’y investissent de plus en plus et de notre côté, nous cherchons à créer cette envie, cette motivation et nous avons actuellement entre 700 et 800 licenciés : la relève est bien là pour assurer l’avenir. L’esprit communautaire est puissant, car lors des manifestations, c’est la famille qui se déplace pour soutenir, partager et participer. On cherche aussi à atteindre, à travers des entrainements réguliers, un haut niveau en sports traditionnels, on observe maintenant une mobilisation et une amélioration des performances. 


Les traces historiques de ces sports, on les a aussi trouvées au Bishop Museum de Hawaii, sous la forme d’écrits de navigateurs, de missionnaires, qui décrivent les activités et leur côté festif, mais aussi auprès d’anciens, de sages comme à Rurutu. Les ouvrages qui évoquent le sport traditionnel dans notre pays proviennent du marin James Morrisson (Journal, Pape’ete 1966), du missionnaire anglais William Ellis (À la recherche de la Polynésie d’autrefois, Paris 1972), du commerçant Moerenhout (Voyage aux îles du grand Océan, 1837), de la princesse Takau Pomare (Mémoires de Marau Ta’aroa, Paris 1971) et de l’incontournable Teuira Henry (Tahiti aux temps anciens, Paris 1962), petite fille du missionnaire Orsmond. 


Actuellement, la création d’un Comité international des sports indigènes, à l’échelle du Pacifique et à l’internationale, est à l’étude.


On souhaite faire vivre ou revivre aussi d’autres sports ou jeux comme les échasses (le but est de faire tomber l’adversaire), le lancer de filet, les jeux de ficelle, le cerf-volant (pauma), etc. Dans les îles, les gens sont plus attachés qu’à Tahiti à ces activités de sport traditionnel (tū’aro mā’ohi) qui s’associent à la danse, au chant, au va’a (pirogue). Les mentalités évoluent surtout dans le périmètre urbain de Tahiti ; dans les îles, on ressent encore un grand soutien, les îles nous rappellent qu’on est Polynésiens. Il y a le temps de la compétition, et après on redevient un peuple ! Les anciens Polynésiens avaient, eux, une force physique du fait de leurs activités agricoles que n’ont plus forcément les plus jeunes, ce qui rend les choses difficiles. Le aito a été et est toujours honoré pour sa force physique. Le surf (fa’ahe’e ou hōrue) ayant repris au cours des années soixante à Tahiti, il s’est totalement autonomisé avec ses propres structures (2).


Pratiquer les sports traditionnels, c’est aujourd’hui une manière de vivre la culture polynésienne de Tahiti et des archipels. On a pris contact avec les Maoris (Nouvelle-Zélande), les Hawaïens, les Samoans, on a découvert que nos sports se retrouvent, avec quelques variantes, à travers tout le Pacifique, dès qu’il y a des cocotiers et de la pierre ! Le lever de pierre, par exemple, se fait à Rapa Nui (île de Pâques) sous l’eau. À Rapa Nui également, on glisse des collines herbeuses sur des troncs de bananiers. Partout il y a une réappropriation de l’histoire, des traditions. Au début de nos discussions, les Maoris nous disaient que leur sport traditionnel c’était le rugby, maintenant ils se recentrent, avec leur gouvernement, sur leurs propres sports ! Dans de nombreux pays du Pacifique, le Matari’i i nia (lever des Pléiades, au début de la saison d’abondance) devient un jour férié, cela unit les pays du Pacifique. On est en train aussi de dresser un inventaire de l’ensemble des sports traditionnels avec les services du ministère de la culture.


Lors de la création du Tiurai (july en anglais, le mois de juillet) en 1881, le gouverneur avait créé le premier concours de chants traditionnels, certaines danses furent à nouveau autorisées et donc réintroduites, et peu avant 1900, elles avaient toutes droit de cité. Ainsi la fête nationale française du 14 juillet, censée honorer la colonisation, permet de voir revenir certains éléments de la culture, dans le cadre d’un spectacle (3) ! Le Tiurai devient Heiva en 1984. C’est la poursuite, le renouveau et le développement des activités d’autrefois.


Les trois termes de Heiva en tahitien, de jeux et de sport en français ne se recouvrent pas en totalité sur le plan des significations. Le dictionnaire de l’Académie tahitienne (fare Vana’a) définit ainsi le Heiva : « passe-temps, divertissement, exercice physique ». Le Heiva relève d’une activité culturelle, il intègre également la danse. Jadis ces activités étaient liées au sacré et relevaient d’une culture initiatique. Le terme de jeux concerne aujourd’hui plutôt les enfants (à part les Jeux olympiques), tandis que le sport est une activité physique scolaire et de compétition. Heiva, jeux et sports sont chacun les véhicules de valeurs culturelles, sociales et éducatives.


Après l’évangélisation, certains sports sont tombés en désuétude ou ont été interdits comme (le Hura), d’autres ont évolué, par contre les Polynésiens ont rapidement adopté des jeux extérieurs en les adaptant à leur mentalité et milieu, comme le jeu du sac, le saut à la corde avec des lianes naturelles, le jeu de billes, le tir à la corde, le jeu de jongleur avec des fruits, colin-maillard, etc. Le javelot était autrefois une arme de pêche et de guerre. On raconte qu’à Ana’a, le vaincu d’une guerre, on lui coupait la tête qui était placée au-dessus d’un mat, les guerriers lançaient alors le javelot, et le vainqueur qui piquait la tête recevait un trophée. Le vainqueur d’un lever de pierre à Rurutu, effectué avec adresse et élégance, recevait, lui, les faveurs d’une vahiné ; c’est un sport lié à la séduction. Le débourrage de coco était à l’origine le travail quotidien pour nourrir la famille et l’île. De même, lorsque les anciens allaient dans la vallée ou en montagne chercher des fruits, ils avaient imaginé un système avec les solides branches d’arbres portées sur les épaules pour en ramener un maximum. Ces activités sont devenues des sports traditionnels.


On peut dire que le surf (hōrue), la danse (ori), le tatouage (tātou), l’enseignement des langues autochtones (reo), et les sports traditionnels (tū’aro mā’ohi) sont les piliers du renouveau contemporain de l’expression culturelle polynésienne.


Interview du 27 mars 2024 et transcription 

Daniel MARGUERON


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1 - Président de la Fédération des Sports et Jeux traditionnels, vice-président du Comité des sports autochtones du Pacifique.

2 - Voir l’article de Jean-Christophe Shigetomi.

3 - Voir l’article d’Yves Leloup et Jean-Marc Regnault.

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