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Variants et invariants des épidémies 

Dernière mise à jour : 25 juil.

à travers le roman Le Hussard sur le toit de Jean Giono


par Andreas DETTLOFF


Le dévouement de Monseigneur de Belsunce durant la peste de Marseille en 1720. MONSIAU Nicolas André (1754 -1837) - © Grand Palais (Musée du Louvre)
Le dévouement de Monseigneur de Belsunce durant la peste de Marseille en 1720. MONSIAU Nicolas André (1754 -1837) - © Grand Palais (Musée du Louvre)

Le Hussard sur le Toit est un roman publié en 1951 par l’écrivain d’origine italienne, Jean Giono (1895-1970), qui décrit des événements fictifs autour d’une vague de choléra qui a eu lieu en Provence en 1832.


Qu’est-ce que c’est le choléra ? Le choléra est une infection bactérienne qui se caractérise par des diarrhées brutales et très abondantes menant à une très sévère déshydratation. La forme majeure classique peut causer la mort en quelques heures à trois jours dans plus de la moitié des cas. Pour éviter la mort, une thérapie par réhydratation orale s’impose. La vaccination est pratiquement inutile, car la protection ne dure que cinq mois.


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Le Hussard sur le Toit se divise en deux parties, une première où le héros se déplace tout seul dans le Var et en Provence, et une deuxième où il se trouve accompagné par une jeune femme qui cherche à rejoindre son foyer situé dans la ville de Gap. Le personnage principal s’appelle Angelo Pardi, un colonel de hussard, cavalier armé qui se dit prêt à donner sa vie pour l’unité et l’indépendance de l’Italie, sa patrie. Au début du roman, Angelo fuit son pays après avoir tué en duel un officier autrichien. Dans le Var il tombe sur des villages dépeuplés par le choléra. Pratiquement tout le monde est mort. Un jeune médecin français essaie de sauver les derniers survivants, mais il manque de moyens et meurt rapidement au contact de la maladie. Angelo reste fidèle à ses enseignements et essaie tout le long de son voyage de sauver des malades, mais sans succès.


Le Hussard sur le toit,  film de Rappeneau 1995
Le Hussard sur le toit,  film de Rappeneau 1995

À la recherche de son frère de lait, Angelo s’introduit dans une petite ville où il se trouve seul face à la peur et l’hostilité des habitants contre un étranger qui aurait essayé d’empoisonner leurs puits. Fidèles à la prémisse selon laquelle « le Mal vient toujours d’ailleurs », quelques villageois essaient de lyncher Angelo sur la place publique. Il est sauvé in extremis par des gendarmes. De nouveau libre, il décide quand même de rester et gagner de la hauteur. Pour se protéger, il mène désormais une vie cachée sur les toits de Manosque, d’où il observe le spectacle de la mort. Il se procure des vivres en s’introduisant dans des maisons. Un jour pendant une incursion dans un appartement, il est surpris par une riche et jeune femme, Pauline de Théus, qui lui donne à manger et à boire. Le soir même, Angelo retourne sur les toits d’où il continue à observer la dégradation de la situation. Les habitants de la ville tombent malades et meurent comme des mouches. Il se décide de prêter main forte à une religieuse qui lave les cadavres pour les préparer à la résurrection. Pour contrer la contagion, les autorités font finalement évacuer la ville en direction des collines avoisinantes où le hussard rencontre enfin son frère de lait Giuseppe.


Les restes du mur de la peste en Provence. Photo DM
Les restes du mur de la peste en Provence. Photo DM

Dans la deuxième partie, le protagoniste quitte Manosque à cheval et reprend son chemin de retour vers l’Italie. Mais très vite il tombe sur un barrage érigé par des gendarmes. Parmi les autres voyageurs bloqués, Angelo retrouve Pauline de Théus. Les deux décident de regagner ensemble les environs de Gap où la belle-sœur de Pauline l’attend. Ils arrivent à contourner le barrage, mais le reste de leur périple va être semé d’embûches. L’omniprésence des militaires et gendarmes fait qu’ils risquent de se faire arrêter à tout moment dans chaque village et jetés dans un endroit insalubre, enfermés avec des malades du choléra. Les autorités appellent ça la quarantaine. C’est une sorte de test pour être sûr que le voyageur n’est pas contagieux. Ce scénario donne lieu à une évasion rocambolesque et des rencontres improbables avec des personnages hauts en couleur jusqu’à l’arrivée du couple dans les environs de Gap, au château de Théus, où le récit se termine.


Dans son ensemble, on pourrait considérer ce roman de Jean Giono comme un roman de voyage, car il nous décrit les paysages époustouflants des Alpes-de-Haute-Provence et du Var. On pourrait aussi le prendre pour un roman de chevalerie à cause de cet amour platonique entre Angelo et Pauline. On pourrait également le considérer comme un roman d’aventures à cause des scènes d’évasion et de confrontation avec les soldats. Écrit en 1951, Le Hussard sur le toit est à la fois tout cela et bien autres choses encore. 


Giono dans son bureau, dit « Le Phare », en juillet 1942 © Radio France/Fonds photographique Amis de Jean Giono
Giono dans son bureau, dit « Le Phare », en juillet 1942 © Radio France/Fonds photographique Amis de Jean Giono

Ce n’est pas pour rien que ce livre a été écrit par l’écrivain de L’Homme qui plantait des arbres (1953). Le thème de l’environnement prend ici déjà toute sa place face à la maladie. Giono nous montre des êtres humains sans défense face au choléra qui se répand à une vitesse impressionnante. Il nous montre un jeune médecin sur le terrain qui fait tout ce qu’il ne faut pas faire. Au lieu de réhydrater les malades, il leur donne de l’alcool à la fois à boire et en frictions. Avec son alcool, il déshydrate ses malades davantage et les achève encore plus rapidement. Il essaie même de la poudre de pistolet sur ses cobayes. On est tenté d’approcher cette médecine expérimentale de certaines injections miraculeuses qui sont utilisées à très grande échelle aujourd’hui.


Giono disait à propos de son roman : « Le choléra est un révélateur, un réacteur chimique qui met à nu les tempéraments les plus vils ou les plus nobles. » Tout au long de ce roman, l’intervention des autorités est sans doute une des plus viles. Au lieu de laisser les gens vivre leur vie à une certaine distance les uns des autres et éviter la contagion et la peur, sans cesse les gendarmes ne cherchent qu’à concentrer les gens, les enfermer, les entasser dans des endroits insalubres où ils s’infectent les uns les autres, et meurent.


Salle commune durant une épidémie (fonds DM)
Salle commune durant une épidémie (fonds DM)

 — Vous devez déclarer vos morts et faire quarantaine. Nous n’avons pas envie de mourir comme des mouches !


 — C’est dans vos quarantaines qu’on meurt comme des mouches. (p. 195)

 



En fait toutes les demi-mesures des autorités ne servent qu’à calmer la peur des bourgeois sédentaires. Pour lutter effectivement contre l’épidémie il fallait mettre en place de vraies mesures d’hygiène bien avant que la maladie n’arrive et Giono l’évoque clairement. Il décrit comment, encore en 1832 dans cette région, toutes les matières fécales étaient rejetées dans les rues des villes et dans la mer. Il compare le port de Marseille à un cloaque à ciel ouvert. Les immondices que les villageois en amont d’une rivière rejetaient, les villageois en contrebas consommaient ou récupéraient. Pendant l’épidémie il n’y a pas de remède miracle. Ce sont seulement les boîtes septiques, le tout-à-l’égout et l’épuration de l’eau, l’hygiène en général qui ont changé la donne et éradiqué le choléra en Provence plus tard.


 Ainsi dit le drapier de Manosque :


« Pourquoi parlez-vous tout le temps de choléra ? Ce n’est qu’une simple contagion. Il suffit de l’appeler par son nom sans chercher midi à quatorze heures. Ce pays serait salubre mais, nous sommes tous plus ou moins ici obligés de compter avec la terre. Un tombereau de fumier se vend huit sous. Vous n’en sortirez pas. Ces huit sous, personne n’a envie de les donner. Pendant la nuit, les gens établissent des barrages en travers des ruisseaux, y entassent de la paille, retiennent les ordures de toute nature et se procurent ainsi du fumier à bon compte. Il y en a même qui payent deux sous pour avoir le droit d’installer des caisses à claire-voie aux issues des tinettes… C’est qu’on aura toujours besoin de fumier. Notez le fait. Et que la contagion passera. Choléra, c’est beaucoup dire et c’est avec des mots qu’on fait peur. Si on laisse arriver la peur, on ne pourra plus faire un pas. » (p. 171).


Le choléra est comme un révélateur, il met en évidence l’égoïsme, la haine, la peur, la passivité, la rapacité… Curieusement tout le long du roman, les personnes qui ont perdu leur humanité face à la contagion, les villageois qui ont peur, qui chassent et lynchent les voyageurs, qui évitent les contacts humains qui essayent d’isoler leur village, attrapent tous le choléra. Angelo Pardi, le voyageur, défie et même méprise la contagion et il n’attrape pas le choléra. Pour conclure, on a presque l’impression que c’est la peur du choléra qui tue, pas le choléra lui-même.


« Angelo était indigné de l’inhumanité de ces gens qui refoulaient les femmes et les enfants dans les bois. L’allusion à la quarantaine lui avait fait aussi dresser les oreilles. » « Voilà une autre histoire et qui ne me plait pas du tout, se dit-il, je n’ai pas envie d’être bouclé dans quelque étable pleine de fumier. La peur est capable de tout et elle tue sans pitié, attention ! » (P. 72) Il dit aussi : « Je ne suis pas malade et vous qui avez peur et vous méfiez de tout vous mourrez. » (p. 79)


Hier et aujourd’hui, on peut observer à l’œuvre une peur totalement contre-productive, un manque flagrant de cohésion sociale, un rejet irrationnel de l’autre. 


En lisant Le Hussard sur le Toit on s’aperçoit que rien n’a changé entre 1832 et 2020. Mais en 1832 on pouvait encore observer et toucher beaucoup de cadavres réels terrassés par la maladie dans la rue. En 2020/21 les morts sont devenus virtuels, des chiffres dans des statistiques sur Internet truffés de fausses déclarations, statistiques dont beaucoup de gens doutent quant à leur vérité sauf ceux qui y trouvent leur intérêt. 


« C’est comique, dit le gros homme à la redingote. Nous avons une épidémie de peur. Actuellement, si j’appelle choléra un brassard jaune et si je le fais porter à mille personnes, les mille crèvent en quinze jours. » (p. 368)

 

Giono, dessin de Jacques Terpant (détail). © Jacques Terpant
Giono, dessin de Jacques Terpant (détail). © Jacques Terpant

À la fin du roman, Pauline survit miraculeusement à une crise de choléra. Ce miracle a été prédit par l’homme à la redingote qui est bijoutier et médecin : 


« Le meilleur remède serait d’être préféré. Mais, vous le voyez on n’a rien à offrir en échange en remplacement de cette nouvelle passion. C’est-à-dire qu’on cherche un spécifique capable de neutraliser l’atteinte toxique, suivant la formule des gens doctes, alors qu’il faudrait se faire préférer, offrir plus que ne donne ce sursaut d’orgueil : en un mot être plus fort ou plus beau ou plus séduisant que la mort. » (p. 382)


Pour Pauline c’est Angelo qui est plus beau ou plus séduisant que la mort. Il lui donne envie de continuer à vivre. Elle reste la seule personne qu’il a pu sauver.


(Les numéros indiqués des pages dans l’article sont extraits de l’édition Gallimard de 1963)



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