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Envoi - De la nécessité de savoir

Dernière mise à jour : 25 juil.

Bonnes feuilles

Présentation de la revue Connexion

Réalisé par Jean GUIART


par Jean GUIART


Jean Guiart observe une revue de 1946 qui évoque son travail en Nouvelle-Calédonie (photo et fonds DM)
Jean Guiart observe une revue de 1946 qui évoque son travail en Nouvelle-Calédonie (photo et fonds DM)

La tentative présente a pour intérêt d’ouvrir un espace de liberté dans un pays qui en manque, où trop de choses sont liées, économiquement, financièrement, politiquement, individuellement, y compris à de petits niveaux qui ailleurs seraient méprisés, où les puissants du jour n’aiment jamais être égratignés, même indirectement, et même s’ils sont dans l’opposition, on y regarde à deux fois à relever leurs inconséquences et leur maniement déjanté de la foire aux illusions.


Nous aimerions ouvrir ces quelques pages à qui a quelque chose à dire d’informatif et d’utile, à qui possède une vraie compétence et ne trouve parfois ni la motivation, ni le lieu où en témoigner.


Jean Guiart conférence sur P. Gauguin, mairie de Papeete 2017 (photo DM)
Jean Guiart conférence sur P. Gauguin, mairie de Papeete 2017 (photo DM)

Notre vision est universelle en ce que si le battement des ailes d’un papillon ici peut provoquer à l’extrémité de la planète une tempête destructrice, l’allégorie peut être inversée, même le battement des ailes d’un papillon en tel point chaud de notre monde resté fou depuis des décennies malgré les espoirs déçus de paix universelle, peut provoquer un désastre chez nous. Il est utile de poser sur lui un regard informé et de tenir compte des conséquences prévisibles.


La réalité   de la transmission des épidémies à travers le monde, est une image concrète de ce que l’ignorance, à tous les niveaux, peut cacher, sinon provoquer de grands dangers, spirituels par l’irruption de la violence incontrôlée, intellectuels par le refus de la raison scientifique et la manipulation des esprits, quotidiens par la destruction des économies à travers la planète.


Couverture de la revue Connexions 1, dessin d’Andreas Dettloff
Couverture de la revue Connexions 1, dessin d’Andreas Dettloff
4ème de couverture de Connexions 1
4ème de couverture de Connexions 1






















Notre archipel sœur, la Nouvelle-Calédonie, vient d’en faire la démonstration. Ses dirigeants n’avaient pas prévu :


  1. que la Chine n’était pas un super dragon insatiable à jamais. Ils n’ont pas imaginé qu’une fois ses stocks assurés pour une période raisonnable, elle cesserait provisoirement ses achats de nickel sous toutes ses formes. Pourtant c’est l’expérience, où que soient les acheteurs, depuis un siècle. Les marchés ne sont pas extensibles à l’infini. L’Australie ne l’avait pas prévu non plus qui se piquait de tenir la dragée haute aux Chinois tout en croyant qu’ils achèteraient ses matières premières indéfiniment.


  2. que l’expérience de manier industriellement des produits dangereux, en l’espèce l’acide sulfurique, risquait de provoquer autant de drames écologiques et de colère chez les populations voisines, que de satisfactions chez les actionnaires éventuels de géants aux pieds d’argile soldant leurs acquisitions industrielles avec de la dette, c’est-à-dire du papier ne représentant qu’une valeur théorique. La titrisation a créé l’équivalent d’une monnaie parallèle reposant sur du vent.


Les Tahitiens qui se pressent pour émigrer en Nouvelle-Calédonie sont aujourd’hui en retard sur la réalité économique locale. Là-bas est revenu le temps du « dégraissage ». La conjonction de la baisse du cours international du nickel et du poids financier des investissements en cours, ces deux facteurs étant en décalage constant, tire vers la baisse le marché de l’emploi industriel et minier Cela reprendra mais dans quelques années seulement, étant donné la nécessité d’absorber les investissements présents, dont l’addition aboutit à des chiffres de production potentielle supérieurs à la demande prévisible du marché international actuel, et dont les localisations sont souvent des pays où la main-d’œuvre est bien moins chère qu’en Nouvelle-Calédonie. Déjà, sur place, la main d’œuvre technique recrutée aux philippines vient concurrencer victorieusement la main d’œuvre locale et sa part tahitienne.


Des destructions importantes à Canala ont commencé à témoigner de la révolte kanak contre les mensonges dont on avait abreuvé l’intérieur de l’île, les milliers d’emploi promis qui ont été donnés à d’autres, du moins dans la mesure où ils ont été créés.


On sait d’où viennent les papillons dont le battement des ailes est en train de saccager les promesses d’un avenir industriel tout rose en Nouvelle-Calédonie : du Canada, de Norvège, de France et du Brésil, dont les financiers et capitaines d’industrie n’ont investi que du papier ou des frémissements mathématiques d’ordinateurs géants. Leurs fortunes personnelles sont bien à l’abri, peut-être même dans le port de Pape’ete ou les marinas de l’île éventuellement, allant de port en port pour ne jamais payer d’impôts. Eux aussi frémissent et battent des ailes et peuvent être saisis de panique du fait de la trahison d’un algorithme financier trop pressé de déployer ses charmes.


Que fera le pays s’il est un jour confronté à deux facteurs imprévus ?


  1. La nécessité de financer le retour des Tahitiens de Nouvelle-Calédonie, tombés dans une misère dont ils n’avaient pas prévu la venue, obligés de vendre leurs maisons dans un marché local tout d’un coup encombré, et devenus sans moyen d’existence.


  2. L’abandon sur place par leurs équipages impayés de navires de luxe invendables sur un marché international non seulement exigu, mais tout d’un coup exsangue. Cela est déjà arrivé ailleurs, en Angleterre avec un magnat de la presse qui s’est suicidé en haute mer.


On nous rétorquera que nous sommes en train de faire un cauchemar. Mais regardez l’Argentine en pleine catastrophe financière, qui se jette dans les bras d’une Chine avide de dépenser ses dollars en surplus et par trop lourds, et le Brésil qui donnait tant d’espoirs, en pleine révolte sociale. Pour ceux qui ont quelques connaissances, ce n’est pas la première révolte sociale, ouvrière ou paysanne au Brésil, depuis un siècle, et la présidente actuelle a participé comme militant à l’une d’entre elles, il y a bien des années.


Mais si nous comptions sur la Calédonie pour nous aider à absorber notre surplus de population, le Brésil est la nation clé. Sa puissance financière dont nous espérons profiter indirectement se dérobe sous nos pas déjà. Et pour le moment personne ne va aller chercher, dans les abysses marines, le nickel qu’on ne réussit plus à vendre venant de la terre émergée.


Quoique bien brossé à grands traits, ce tableau n’est pas plus noir que la crise dont nous ne sommes pas encore sortis avec, à travers la planète, son cortège de misères et de femmes chargés d’enfants abandonnés par des compagnons qui ne font plus le poids. Il présente l’avantage de montrer combien peu nous sommes informés ici de tout ce qui risque de déterminer les modalités de notre pauvre existence.


Rien ne prouve que nous avons acquis la sagesse nécessaire pour construire sereine- ment un minimum de prévision raisonnable de notre propre futur, y compris ici. Je n’ai même pas réussi à faire pousser un uru (1) chez moi pour me nourrir au cas où.


Tous les meilleurs spécialistes nous le disent, nous ne sommes pas sortis d’affaire, et nous ne sommes rien à la surface du monde, c’est-à-dire que nous n’intéressons en définitive personne. Il n’y a rien à prendre ici, sinon des impressions visuelles, que l’on rencontre à moins cher ailleurs, et si souvent tout aussi belles. Le seul facteur de la douceur de vivre ici, est l’accueil, pas toujours à Pape’ete même, mais ceci n’est pas comptabilisable, sinon là où on le fait payer, trop cher.


Cette jeune et belle Tahitienne, accueillant un ténor du barreau de Paris dans un des meilleurs hôtels de la ville en lui disant : « Assieds-toi là ! Quand j’aurai fini mon journal, je m’occuperai de toi. » Il n’en n’est pas encore revenu. Elle aurait pu lui expliquer que la chambre n’était pas encore prête, mais a préféré le coup au creux de l’estomac. Une petite vengeance subtile.


Je me suis tant baigné sur des plages où il n’y avait personne, arrêté à cheval ou à pied sur des crêtes d’où l’on voyait des îles entières d’un seul coup d’œil et d’autres îles au loin. J’ai appris ainsi que, même dans le Pacifique, tout était interconnecté et qu’un peu de connaissance était essentielle, l’ignorance étant le péché capital, en définitive le plus destructeur. Nous aimerions la pallier, du moins à notre échelle et ici (2).


1 - Note de l'éditeur : arbre à pain, maiore.

2 - Note de l'éditeur : 10 numéros de la revue Connexions verront le jour entre 2014 et 2019, année de la mort du professeur Jean Guiart. La diffusion de cette revue électrique et atypique a été modeste, mais elle a correspondu à une nécessité de liberté d'expression.


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